“C’est très bien Axel” Après une petite tape contre ton épaule, ta mère disparaît de ton champ de vision. Tu sais ce qu’elle va faire par avance. Elle va sûrement appeler ses amis pour les inviter à prendre le thé ou appeler une agence de voyage pour choisir sa prochaine destination ou donner des ordres aux servantes. Ta mère, tu la connais si bien après l’avoir côtoyé pendant quinze ans. Les bulletins de notes que tu ramènes à la maison ne lui font ni chaud ni froid. Si tu n’étais pas aussi brillant que tu l’es, tu es certain qu’elle ne réagira pas non plus. Ta mère est la rigidité incarnée et tu as sûrement hérité ce trait de caractère. Heureusement que ton père compense avec le manque flagrant de tendresses que cette génitrice t’en a témoigné. Ton père est un homme riche, sûrement encore plus riche que son épouse. Et malgré ton emploi du temps chargé, il trouve toujours un moment pour te parler, te conseiller un livre ou t’emmener pêcher. Tu es son fils et à chaque fois, il te le montre avec des gestes ou des paroles. C’est pour cette raison que tu as attendu le soir pour lui montrer ton bulletin. Tu sais par avance qu’il en sera heureux, qu’il ne se contentera pas de taper gentiment contre ton épaule, non, ton père te prendra dans ses bras, te félicitera et te proposera une sortie pour célébrer ta réussite. Tu sais aussi que ta petite soeur ne se joindra pas à vous. Elle est particulière cette soeur. Elle est un phénomène que tu ne comprends pas. Malgré tes efforts, tu n’arrives pas à percer sa coquille forgée dans une musique à laquelle tu n’adhères pas et un cercle d’amis que tu considères comme nuisibles pour elle. Malheureusement vos rapports ont toujours été neutres. Tu aimes ta soeur parce que vous avez le même sang coulant dans vos veines, ni plus ni moins. T’aurais aimé en savoir plus sur elle mais à chaque fois, elle impose une muraille de mutisme entre vous. Tu as fini par laisser tomber et te contenter de ton seul allié dans cette grande maison ; ton père. Avec lui, tu partages beaucoup de points comme votre amour pour les affaires ou les journaux page finance. Et cette passion commune ne change pas au fil des années au contraire, elle s’est renforcée avec le choix d’études que tu as fait.


“Axel, tu n’es pas sérieux ?” Si, tu l’es et tu le montres en regardant fixement ton ami. Il est hébété, tu peux le comprendre rien qu’avec son expression ahurie comme s’il était prisonnier d’une hallucination. Mais il a raison d’être aussi choqué. Ce n’est pas habituel qu’un homme, normalement constitué, refuse l’invitation d’une jeune femme. Non, rectification, d’une très belle jeune femme désirée par tous. Si, bien sûr, tu sais à quel point Emy est belle et intelligente, tu n’es pas bête cependant, elle ne t’attire pas. A vrai dire, aucune femme ne t’attire et aucun homme ne trouve grâce à tes yeux non plus. Tu es bien trop occupé pour sortir boire un verre, Yale te prend beaucoup de ton temps. C’est ce que tu dis à tous tes amis afin de ne pas trop te poser des questions. La vérité est autre et tu ne l’assumes pas encore. Toi, Axel, tu es démuni d’envie sexuelle. Tu ignores si c’est une pathologie ou un problème psychologique du moins, les psy et neurologues que tu as consulté, ont affirmé une information capitale ; tu es “normal”. Tu ne souffres d’aucune maladie. Tu as ainsi déduit, que si tu n’éprouves pas d’appétit, c’est que tu n’en as pas envie, ni plus ni moins. Tu vis avec cette révélation depuis plusieurs années à présent. Tu ne te touches pas comme les jeunes hommes de ton âge. Tu ne dragues pas non plus. Tu préfères passer ton temps libre à la bibliothèque de Yale ou bien devant ton ordinateur à travailler sur ton dossier de finance. Tes rêves, tu les connais et tu comptes les réaliser. Tu es le petit fils de Brigitte Matthew-Saint-Laurent, la soeur d’Yves Saint-Laurent. Ton père a contribué à ce grand nom de la mode à sa façon mais toi, tu ne veux pas te contenter d’attribuer, toi, tu veux carrément prendre le flambeau. Tu veux être le nouveau dirigeant de la marque à New York et tu travailles avec acharnement pour l’être.  


“Ecoutes, tu n’es pas faite pour cette entreprise alors ressaisis-toi. Tes larmes ne changent rien.” Tu es conscient de l’impact de tes mots car au lieu de calmer cette jeune demoiselle, elle se redresse rapidement pour sortir de ton bureau. Tu soupires en posant ton regard sur sa fiche. Tu la froisses entre tes doigts ornés de bagues avant de la balancer dans la poubelle. Tu n’es pas très délicat lorsqu’il s’agit de ton travail. Tu ne vas pas par quatre chemins dans le but de ne pas blesser. Tu t’en fous de blesser parce que selon toi, ces jeunes mannequins doivent savoir la sévérité du milieu de la mode. Tu évolues dans cette entreprise depuis plus de trois ans et malgré cette courte période, tu as su imposer ta façon de voir les choses. On te respecte parce que tu ne rigoles pas quand il s’agit de ton travail et de ce nom que tu défends. La marque n’a pas besoin de publicité pour briller mais elle n’a pas non plus besoin d’une mauvaise réputation vu la rudesse de la compétition. C’est un fait que tu gardes toujours en tête et qui, par la même occasion, alimente ton perfectionnisme. Concrètement, en dehors de ton statut de PDG, rien n’a réellement changé dans ta vie. Tu ne t’entends toujours pas bien avec ta soeur. Ton père et ta mère ont préféré retourner en France après le décès de ta grand-mère. C’est une décision que tu as approuvé à moitié car tu as besoin de lui, ton père. Il a été là dans les moments les plus importants de ta vie. Lors de ta remise de diplôme à Yale, ton master à Columbia et même lors de ta première cuite. C’est lui qui t’a mis sous la douche et c’est lui qui t’a préparé un café non sans se moquer de toi. Tu es conscient que malgré son absence physique, votre relation restera forte d’ailleurs, tu déposes ton stylo pour composer son numéro sur ton téléphone. Là, tu vois sur un bout de papier un autre numéro. Tu grimaces. Tu sais qui l’a mis là-dessus et tu ne témoignes pas l’envie de saisir ce bout de papier. Il appartient à une jeune femme, une nouvelle recrue. Tu sais que tu n’es pas dégueulasse à voir et tu es sujet à des dragues seulement, cela ne t’intéresse pas. Ca a toujours été le cas et tu ne voudrais pas changer ça non plus. Ta vie, tu l’aimes comme elle est et tu n’as pas besoin d’une femme pour l’égayer ou pour lui donner un sens. Le sens, tu le connais par avance car tu es de ceux qui ne s’imposent pas de barrières, ceux qui ne prennent pas de résolutions car c’est futile et bien trop optimiste pour le réaliste que tu es.