2002 - 2005 Une famille aimante. Une famille parfaite se dressant devant une grande maison témoin de son euphorie totale. Les rires étaient permanents. Les blagues étaient au rendez-vous et le bonheur était au summum. Cette atmosphère légère s’était écroulée avec le temps, se conjuguant au passé car la chute n’était pas attendue. Tout s’était arrivé rapidement. Le verdict était sévère, écorcheur aussi. Il a ravagé toute une famille, il a fait couler des larmes et des promesses d’une guérison qui ne vint jamais. Ta mère était tombée malade au moment où vous aviez besoin d’elle. Un cancer au dernier stade. T’étais très jeune pour comprendre, à peine dix ans pour savoir que ta mère n’avait aucune chance contre cette maladie. Vous faisiez des allers et retours entre l’hôpital et la maison. Entre ces murs immaculés, le silence était pesant et tu ne saisissais pas la gravité de la situation. Contrairement à ce qu’on aurait pensé, ta mère était résistante. Elle s’était battue de toutes ses forces pour ne pas vous quitter mais la Faucheuse en a décidé autrement. Un soir, alors qu’elle était de retour à la maison, elle a demandé à ce que vous soyez à ses côtés. Elle a tenu vos mains à toi et à ta soeur. Elle a fait promettre à Alaïs de toujours veiller sur toi, peu importe les conséquences et au delà de votre jeune âge, ta frangine a hoché la tête, peut-être inconsciente que cette promesse allait bientôt voir le jour. Ses mains étaient devenues froides et ta soeur pleurait. Toi, tu ne comprenais toujours pas la signification de cette mise en scène. Tu n’as réellement assimilé les faits que lorsque vous avez enterré le corps inerte de celle qui a été un jour une mère aimante, une mère modèle et parfaite. Plus tard, tu as appris regarder le ciel et de communiquer avec elle. T’étais une enfant silencieuse et extrêmement effacée. Ta vie se résumait à l’école et tes poupées. Ta vie était simple, ta vie était innocente jusqu’au jour où tout a radicalement changé. Il pleuvait, des averses saccageaient votre petite ville, vous obligeant à rester cloîtrer chez vous sans électricité. Il était à peine vingt deux heures et t’étais couchée dans ton lit, les couvertures couvrant ton petit corps frémissant. Tu ne supportais pas les orages et t’avais pensé que ton père s’était introduit dans tes couches afin de t’aider à dépasser ta phobie. Erreur. T’étais naïve, t’étais un enfant n’ayant jamais imaginé que ses mains se placeront là où c’est interdit. Tu l’avais regardé, tu lui avais demandé ce qu’il faisait. Il t’avait ordonné de te taire, son haleine nauséabonde transpirait l’alcool avant de commettre l’irréparable. T’avais eu peur, t’avais pleuré silencieusement, t’avais mal mais tu ne faisais pas de bruit non, tu n’as jamais fait de bruit. Ton calvaire avait commencé et a duré, perduré pendant deux années entières. On ne s’habitue jamais à ce genre de pratique forcée et un soir, t’avais voulu riposter. T’avais dit non, de toutes forces et pour toute réponse, t’avais eu un coup au niveau de ta joue. Un deuxième avait suivi le premier et d’autres n’avaient pas tardé à pleuvoir sur ton petit corps souillé. Lorsqu’il avait quitté ta chambre, t’étais pressée pour te cacher dans ton armoire. Tu pleurais, prise par des secousses sévères. T’avais caché ton visage entre tes petites mains, collant tes jambes à la partie supérieure de ton enveloppe. Soudainement, une lumière ressurgit et en geste de défense, tu recules. Il s’agit de ta soeur. A sa vue, tes pleurs s’étaient accentués. Tu n’avais pas besoin de tout lui expliquer pour qu’elle comprenne. Le sang coulant de ton intimité et les bleus sur ton visage étaient assez révélateurs. Elle t’avait posé une question, une seule question ; depuis quand cela durait. Deux ans. Deux longues années à souffrir sans jamais rien dire. Elle t’avait alors demandé de préparer ton sac. Tu n’as pas discuté sa décision, tu l’avais suivi. Vous avez pris l’argent que ton père gardait dans son coffre fort et vous avez quitté la maison. Il était avachi sur le canapé, il n’avait pas bougé. Peut-être il vous a entendu, tu n’en sais rien et tu n’as jamais cherché à savoir. Ce qui importait, c’est ce bus qui se dressait devant vous et dans lequel vous avez pris des sièges quittant à tout jamais cette ville, cette maison, ces viols continuels.

2005 - 2011 New York. La ville des rêves. Celle ayant engendré une histoire irréprochable, une civilisation lointaine, qui perdure. T’étais aveuglée par les lumières constamment présentes dans les longues ruelles. T’avais les yeux brillants et ta main ne quittait jamais celle de ta grande soeur. Vous avez fuit Alma, vous retrouvant dans la grosse pomme. Seulement, vous n’aviez que quelques centaines de dollars pour pouvoir vivre. Ce n’était pas facile, loin de là. Vous n’aviez pas de maison, vous étiez jeunes et sans aucune ressource. Heureusement que ta grande soeur apparaissait plus vieille ce qui lui a permis de travailler. Cela ne payait pas de mines mais au moins vous arriviez à manger à votre faim tout en habitant dans un vrai taudis. Elle avait insisté pour que tu retournes à l’école. Là aussi, ce n’était pas facile. Vous avez appris à mentir, prétextant que vos parents n’avaient pas le temps pour venir t’inscrire ou te chercher à l’école. Vous avez usé de tous les moyens pour esquiver les services sociaux. Tu ne voulais pas te séparer de ta soeur, non, jamais. Vous étiez proches depuis votre plus jeune âge mais plus vous grandissez et plus elle devenait indispensable pour toi. Elle est la prunelle de tes yeux, ta mère, ta meilleure amie, ton tout. Sans elle, tu ne pouvais respirer et sans elle tu te sentais perdue. Elle était là lorsque tu avais décroché ton bac et elle t’avait conseillé quand t’avais du faire un choix d’université. Elle a sautillé avec toi lorsque t’avais reçu ta bourse et elle a versé une larme au premier jour de rentrée. Vous étiez complices, vous étiez soudées et toi, tu te donnais à fond pour la remercier à ta façon. Elle a toujours refusé que tu travailles. T’avais du potentiel, t’étais intelligente et depuis que t’étais enfant, tu voulais faire médecine. Grâce à elle ce rêve était devenu réalité, grâce à elle, tu as franchi les portails de Columbia. C’est vrai, votre vie n’était pas facile. Survivre à New York n’était pas une mince affaire bien au contraire. Tu as dû enfermer tes peurs dans un placard et oublier les clés. Tu as dû te battre au Bronx pour montrer ta force longtemps enfouie dans les méandres de ton innocence perdue. Tu te rappelles toujours du jour où deux filles t’avait provoqué. T’étais calme, ô oui, t’étais extrêmement réfléchie seulement, elles avaient dit les mots de trop. Elles avaient insulté ta soeur, ton épée de Damoclès, ton talent d’Achille. T’avais vu rouge, les attaquant directement. Elles t’avaient frappé, elles avaient meurtri ton doux visage et pourtant, t’avais un sourire sur tes lèvres pétées. C’est là qu’il s’était rapproché de toi, cigarette au bec. Il t’avait regardé de haut alors que t’étais au sol. Une seule demande, une seule question avait franchi le seuil de ses ourlets. Veux-tu apprendre à te battre ? Oui, tu le veux. Oui, tu n’inspires qu’à cela. Te battre et défendre ta soeur. Les séances avaient commencé. A chaque fois, tu revenais les lèvres éclatées et les membres endoloris. Mais t’étais heureuse, t’étais déterminée à savoir manier tes poings comme il le faut. Ta passion pour la boxe avait éclaté depuis ce jour et jusqu’à présent, elle fait partie de toi, de ton quotidien.

2011 - 2017 Tes années d’études avaient commencé. T’étais excitée de rentrer à Columbia et de te plonger dans l’univers médical que t’avais choisi et longtemps chéri. La première année était délicate. A l’appartement, t’avais du mal à te concentrer vu les bruits incessants que faisaient vos voisins immigrants. Les murs étaient fins et tu pouvais entendre tout ce qu’ils se passait dans leur quotidien. Pour éviter un quelconque énervement, t’avais commencé à imaginer des scénarios. Des petites histoires de fiction, mettant en scène tes voisins ou des protagonistes inexistants. Avec la boxe, c’est devenu ton passe-temps préféré et petit à petit, t’avais entrepris de noter ces histoires, les exécutant parfois. Lors de ta deuxième année, t’avais rassemblé tout ton courage pour t’inscrire au club de théâtre. Tu n’étais pas timide mais monter sur la grande estrade devant des inconnus n’était pas une mince affaire. Pourtant, t’avais besoin de t’évader, de transmettre tes émotions dans ton jeu d’acteur. T’avais alors fermé les yeux, pris une bonne respiration avant d’inaugurer la petite pièce que t’avais écrite. Depuis ce jour, tu as repris confiance en toi et en ton imagination débordante. Tu mettais toutes tes pensées sur papier et cela te réussissait. T’étais intéressée au cinéma aussi ainsi que la musique metal. Pour ceux qui t’entouraient, c’était une suite de bruit mais pour toi, elle était ton échappatoire. Ta soeur avait deux boulots ce qui vous a permis de déménager d’immeuble. Votre nouvel appartement n’était pas grandiose mais au moins vous étiez au calme ce qui te permettait de vivre ta passion comme tu l’entendais. Tu naviguais sur youtube pour découvrir les dernières sorties d’album et un jour, ce fut le déclic. T’avais besoin de rapporter de l’argent à la maison mais tu n’avais ni le temps ni les qualités requises pour devenir serveuse. Alors naturellement, t’étais tournée vers ce grand site de vidéos. T’avais commencé à faire les tiennes basées sur des critiques d’albums ou le cinéma macabre. T’avais fait tout ton possible pour promouvoir ta chaîne et au bout de plusieurs mois, t’avais réussi à attirer une grande audience ainsi qu’une centaine d’abonnés. A présent, ta chaine te rapporte des dollars, ta contribution pour vos dépenses et tes études aussi. Avec ta soeur, vous ne vivez pas dans le luxe mais vous êtes au moins heureuses car vous êtes ensemble et vos mains sont toujours liées l’une à l’autre.