Mardi 30 juin 2020
(ouais on anticipe un peu )

Une nouvelle fois je fais demi-tour sur moi-même pour marcher jusque la rambarde du balcon. Puis je me retourne pour recommencer. Une fois. Deux fois. Trois fois. X fois jusqu'à ce que je m'arrête. Alors je lève la tête pour crier un bon coup. Je n'entends ni Elvis ni personne réagir. L'immeuble semble vide. Tant mieux même si ce n'est sûrement pas le cas. Les mains tremblantes je sors mon téléphone, ouvre mon répertoire et commence à regarder défiler les noms. Ethan? Non. Maman? Non. Papa? Aha, double non. Je m'assois sur un des transats, me relève. Alan? J'en suis incapable. Jared. Pas maintenant. Pas pour ça. Il ne saurait pas comment m'aider... Zara? C'est une femme après tout. Mais elle est trop proche de Saphyr. Elle garderait le secret mais je peux pas lui demander ça. Saphyr? ... Je le ferais souffrir. Mais en même temps, il est le seul qui comprendrait ce que je peux ressentir. Il était là du début à la fin la première fois. Ceci dit la dernière fois que je lui ai parlé il a été un sacré connard. Et c'est déjà moi qui l'avait appelé. C'est un signe de faiblesse d'être celle qui le recontacte en premier. Non c'est pas une bonne idée. Je jette le téléphone sur le transat et retourne aux toilettes. Toujours rien. Ok c'est complètement stupide de vérifier à nouveau... C'était au cas où. Sur un malentendu. Il faudrait que je descende à la pharmacie. Ouais. Il faudrait... Il y en a une juste au coin de la rue mais j'en suis incapable de m'y rendre. Je reviens sur la terasse, reprend mon téléphone. De ma main libre j'attrape mon poignet et j'essaie de calmer ma main qui tremble. ça ne marche pas du tout. Tant pis. Je tombe à nouveau sur le nom de Saphyr. Je regarde Francis, comme pour lui demander son avis. Mais c'est un chien, comment un chien pourrait approuver ou non mes choix? Je me marre. Et enfin j'appuie sur son nom. Je n'ai aucune idée de ce que je vais bien pouvoir dire. Le jeune-homme décroche et je suis toujours muette. Comment annoncer une bombe pareille? Je suis pas sûre que c'était la meilleure chose à faire de l'appeler. Mais c'est trop tard maintenant. Tu vas dire quelque chose Zoey bordel de merde ?! "Saphyr ?!" je renifle. Oh bah oui comme si c'était le moment de pleurer tiens ! Bien joué ! T'as tout gagné !

Avachit dans le canapé de ma soeur, je regarde la télé sans grands intérêts. Je commence sérieusement à m'ennuyer à cause du confinement, les contrats commencent lentement à reprendre, mais les shootings restent rares.
J'observe ma soeur attentivement, et m'allonge un peu plus dans le canapé, allant doucement glisser mes pieds sur ses jambes. Aucunes réactions. Je me pince les lèvres, et vais lentement passer mes orteils sous son nez. Zara me pousse le pied me demandant d'arrêter, mais je recommence instantanément. Une fois, deux fois, trois fois, voilà qu'elle me pousse plus violemment.
- Mais arrêtes putain !! Je ricane quand elle s'énerve, et recommence, avant de me lever en rigolant, tandis que la jeune femme me poursuit.
- Zarachouuuu ! J'éclate de rire, alors qu'on tourne autour de la table. Ma soeur semble furieuse. Je sais qu'elle ne me supporte plus et qu'elle a hâte que je sorte prendre l'air.
- Ta gueule Vilkas. Je lui envoie un baiser volant, avant que mon téléphone se mette à sonner.

Je regarde l'écran de celui-ci, et lève les yeux vers ma petite-soeur. Voilà que mon ex m'appelle. La dernière fois, c'était pour m'engueuler, et aujourd'hui je ne pense pas avoir fait quoi que ça soit. Je soupire, alors que Zara m'incit à répondre, et décroche.
Un long silence se fait sentir, et soudain :
- Saphyr ?! Je fronce les sourcils en entendant mon ex renifler, signifiant qu'elle pleure.
- Zoey ? Qu'est-ce qu'il t'arrive ? Ma voix se veut douce et réconfortante. C'est Archie ?

Saphyr décroche et on assiste au silence le plus long et le plus gênant de l'histoire de l'humanité. Qui de nos jours répond à un appel sans un "allô" hein? Juste un tout petit mot m'aurait peut-être débloqué. Ou pas. J'en sais rien. C'est pas le sujet après tout. N'empêche que cette pression me fait monter les larmes aux yeux. Et c'est donc de la voix la moins assurée au monde que je lâche le prénom de mon interlocuteur. L'avantage c'est que ma vulnérabilité le fait tout de suite réagir. L'inconvénient c'est que je n'ai toujours pas aucune idée quant à la façon de lui annoncer la chose. Bien trop préoccupée je ne prend même pas la peine de rectifier le prénom de mon petit-ami. "Non, non c'est pas ça" je le rassure rapidement au cas où il s'énerve et n'ai l'idée d'aller mettre les points sur les I avec Alan ou je ne sais quoi. Mes mains comme ma voix tremblent toujours et je finis par m'asseoir à même le sol sur la terasse. Francis vient alors se refugier entre mes jambes inquiet et je l'accueille d'une caresse. "J'ai... j'ai du retard" je parviens à articuler difficilement. D'un geste j'essuie mes larmes qui continuent de couler. Je n'ai pas pleuré comme ça depuis des mois et il faut que ça arrive maintenant. Ceci dit je suis trop bouleversée pour me retenir. Saphyr ne semble pas comprendre ou du moins réagir alors je continue. "Je devrais avoir mes règles depuis trois jours. J'ai pas eu de retard depuis... depuis la dernière fois." Ma phrase n'a aucun sens. Mais s'il a bien entendu, ce qui n'est pas si sûr étant donné mon état, je sais qu'il comprendra ce que je veux dire. Depuis ma dernière grossesse je n'avais eu aucun problème. "T'es toujours là ?" je m'inquiète.

La panique me prend de savoir Zoey en pleure à l'autre bout du fil. J'aimerais pouvoir être à ses côtés, et la serrer dans mes bras. Je déteste ce sentiment d'impuissance. J'aimerais prendre sa douleur, comme j'essayais de le faire lorsque nous étions ensemble.
Zara m'interroge du regard, et je mime des larmes, avant de partir dans ma chambre. J'écoute Zoey tant bien que mal. Elle a du retard. Oh. Ah.
Elle semble avoir l'impression d'approfondir ses mots, mais j'ai bien comprit dès le début. Je ne sais même pas quoi lui dire.
- Zoey. Zoey calmes toi. Je lance d'un calme impérieux, alors que mon coeur se brise dans ma poitrine. Alors c'est vraiment du sérieux avec ce type ? A tel point qu'ils en viennent à coucher ? Ca ne veut rien dire, d'accord ? Tu as peut-être été un peu stressée avec ce confinement, c'est rien. Ca a dû te dérégler un peu. Je me pince l'arête du nez en soupirant. Tu as fait un test ? Fais en un, et tu seras fixée. Tu veux que je vienne te voir ? Ou tu veux venir passer la soirée avec Zara et moi ?

L'espace de deux minutes j'ai l'impression d'être seule et que Saphyr n'est plus au bout du fil. Et c'est durant cet instant que je réalise à quel point je suis encore dépendante de lui. L'idée qu'il puisse m'envoyer chier me rend malade. Même si je sais pertinemment que ce n'est pas ce qu'il fera. Probablement est t'il en train d'encaisser ce que je suis en train de lui avouer. Je sais que ce n'est pas facile pour lui et je ne devrais pas lui infliger ça. Pourtant encore aujourd'hui c'est lui que j'ai le réfléxe d'appeler quand je me sens vulnérable.
Enfin le jeune-homme réagit et je suis surprise d'entendre le calme olympien dont il fait preuve. Le ton de sa voix m'apaise et je prend cinq secondes pour fermer les yeux et essayer de me calmer tout en l'écoutant. Il a probablement raison mais je ne peux m'empêcher d'être inquiète. Je n'ai jamais de retard d'habitude. Et perdre le contrôle de la situation me fait paniquer. "Non j'en ai pas fais j'ai même pas le courage de descendre en acheter un" j'avoue dans un ricanement sans avoir vraiment percuté le reste de sa phrase. "Je peux pas être enceinte c'est pas comme ça que les choses étaient sensées se passer." Voilà que je suis en colère maintenant. ça change à l'époque j'aurais été pessimiste. Toujours est-il que rien ne se passe jamais comme prévu.

Zoey me confie ne pas avoir fait de test. Je la connais suffisamment pour ne pas m'en formaliser. La jeune femme est assez en détresse comme ça pour que j'en rajoute une couche.
Mon cerveau fonctionne à grande vitesse, cherchant des solutions, et en même temps, essayant de trouver les mots pour la réconforter. Si avant, j'étais plutôt du genre à m'enfoncer dans le silence, aujourd'hui j'essaie de mûrir. D'ordinaire je me serais braqué, restant focalisé sur les relations sexuelles de la jeune femme avec un autre que moi. Aujourd'hui, je lui trouve des solutions.
Je soupire au téléphone.
- Zoey, c'est pas grave ok ? Tout va bien. Je ne lâche pas le combiné, jamais. Comme si le lâcher serait laissé tomber Zoey. Je rassemble quelques affaires, cherchant ma carte bancaire de partout. Tu n'es pas enceinte, d'accord ? Je souffle, essayant de sourire. Parce que déjà, si tu dois avoir un enfant un jour, il sera de moi, et personnes d'autres. Je me mords la langue en grimaçant. Débile. Mais au fond, pourquoi est-ce que c'est moi qu'elle appelle, et pas lui ?
- Tu es toute seule, mon chat ? Je suis chez toi d'ici une ou deux heures.

Ce sont une fois encore les paroles de Saphyr qui finissent par me calmer. Ou plus exactement le doux son de sa voix. Silencieuse j'essaie de respirer à nouveau normalement. Malgré tout je laisse échapper un hoquet quand il parle de l'éventualité d'un enfant entre lui et moi. Hoquet suivi d'un court ricanement. Etant donné mon état je préfère prendre cette remarque comme une blague pour détendre l'atmosphère. Je ne suis pas certaine que c'était l'intention du jeune-homme mais c'est sorti tout seul. Probablement est-ce aussi un mécanisme de défense pour ne pas avoir à penser à tout ça maintenant.
"Oui je suis seule pour plusieurs heures encore." Alan travaillait et couvrait un évènement qui devait avoir lieu une bonne partie de la journée. "Ok. Merci Saphyr... et tu crois justement que tu pourrais en ramener un? De test. S'il te plaît." Je m'en veux de lui en demander autant et en même temps s'il ne le faisait pas je n'oserais probablement jamais me rendre moi-même jusqu'à la pharmacie en question.