En début d’année, le NY Times avait choisi de présenter certains membres de la rédaction dans le supplément week-end. Ghazaleh Tabrizi fut choisie pour la page du 11 janvier 2020. Voici un extrait de l’interview :

Ghazaleh Tabrizi, vous comptez parmi les journalistes couvrant l’actualité du monde arabe. Pouvez-vous expliquer ce qui vous a dirigée vers cette spécificité ?

Ghazaleh Tabrizi (GT) : Je fais partie de la première génération de la famille née hors des frontières de l’Iran. Mes parents et mes frères aînés ont fui le pays ensemble à la fin des années ’70, alors que la Révolution Islamique se mettait en place, et sont arrivés aux Etats-Unis en 1980. Les premières années, nous avons essentiellement vécu repliés sur nous-mêmes, mes parents parlaient peu anglais et leurs qualifications, élevées en Iran, n’avaient pas d’équivalence aux USA, ce qui les a contraints à survivre par de petits boulots. Je pense qu’encore actuellement, quarante ans plus tard, mes frères et moi portons leur exil et leur décalage dans la société nord-américaine en héritage. Bien que je sois née à Chicago, l’histoire familiale m’a toujours fait considérer l’Iran comme le vrai pays natal, encore que je n’y aie jamais vraiment vécu. Le passé et l’avenir de ce pays, et même du Moyen-Orient en général, ont été déterminants dans la vie de famille. Aussi était-ce presque naturel pour moi d’en étudier l’Histoire à l’Université, puis de choisir leur actualité une fois devenue journaliste.

Arrivée aux USA, votre famille était donc plutôt pauvre. Pourtant, vous avez pu effectuer des études universitaires, et devenir journaliste dans nos pages. Y voyez-vous comme une revanche sur le « pays natal » où ces possibilités ne se seraient sans doute pas offertes ?

GT : Je ne sais pas si je parlerais de revanche. Je pense que s’il s’agissait de revanche, elle s’appliquerait plutôt à moi-même. Vous savez, j’ai vécu à quinze ans un événement assez … Traumatique, dont j’estime souvent qu’il a été l’élément déclencheur. Auparavant, l’avenir me semblait bouché, et la perspective de devoir fournir des efforts épuisante. Par la suite, j’ai appris que ces efforts en valaient la peine, et me permettaient … Comment dire, peut-être de racheter la valeur qu’il me semblait avoir perdue à la suite de cet événement traumatique. Lorsque j’ai entamé des études universitaires, puis ai décroché un diplôme, je n’ai pas songé qu’en Iran, il aurait été certainement beaucoup plus difficile d’y parvenir. Quelque part, ces études me paraissaient naturelles.

Quel rapport entretenez-vous avec le pays natal de vos parents à l’heure actuelle ?

GT : Il y a désormais plus de dix ans que je ne m’y suis pas rendue. Enfant et adolescente, il nous arrivait de séjourner plusieurs semaines auprès de la famille restée là-bas, dans la campagne. J’en garde de bons souvenirs, peut-être parce que je n’avais pas vraiment conscience de l’atmosphère politique. A présent, je suis davantage une spectatrice extérieure, quelqu’un qui étudie le pays sans y vivre, ce qui me semble parfois être une fausseté voire une trahison. Au-delà de l’analyse sociale et politique, j’essaie également d’apprendre à mes enfants de six ans qu’ils ne viennent pas uniquement des USA, mais aussi de l’Irlande, par leur père, et de l’Iran, par leur mère. Je pense que l’empreinte de ce pays reste très forte dans mon existence.