New York Courthouse, 30 mars 2020
@Aleksej Jaime Svendsen & @William O'Connor

Alors que je ne cesse de le frapper au niveau du torse, je me rappelle brutalement qu’il n’y a que quelques semaines de cela, cet homme avait des côtes brisées. A croire que j’ai véritablement décidé d’être la plus bête des femmes ces derniers temps.
J’arrête tout mouvement tandis que ses mots me transpercent. Il espérait que ce soit moi ? Il a donc prétendu devoir se rendre à une audience imaginaire dans le seul but d’éventuellement me revoir ?

- Pour…pourquoi admettre une telle chose ?

Ce n’est sans doute pas la bonne question à poser, j’en conviens mais c’est celle qui me vient la première à l’esprit. Lui, un homme d’ordinaire si réservé et si secret accepte tout simplement de me révéler ce qui ressemble à un désir ? Un désir me concernant, qui plus est.
Tout cela me perturbe. Je ne sais plus quoi penser. D’un côté, j’ai un homme qui ne souhaite plus entendre parler de moi pour être finalement en mesure d’avancer dans la vie et d’un autre, j’ai un homme d’ordinaire distant qui cherche à se rapprocher de moi. Comment suis-je censée gérer un tel capharnaüm ? Qu’est-ce que ça fait de moi ?

- Vous auriez tout aussi bien pu me contacter par téléphone…

J’ai conscience de ne pas rendre cette conversation facile mais j’ai besoin de comprendre ce qui motive réellement cet homme à mon égard. Depuis le premier jour, tout est compliqué entre nous, j’en conviens. Il y a cette lueur dans son regard que je ne parviens pas à déchiffrer et il y a ce je-ne-sais-quoi entre nous qui m’effraie autant qu’il me séduit.

Tu viens de rompre avec ton compagnon.

Cette réalité me frappe en plein visage. Que suis-je en train de faire ? N’ai-je donc pas compris la leçon ? Ai-je vraiment besoin de détruire quelqu’un d’autre pour enfin réaliser qui je suis vraiment ? Non. Je m’y refuse.

- Je crois qu’il vaut mieux que je rentre chez moi, Aleksej.

Son nom claque contre ma langue. J’ai eu du mal à prononcer ces mots mais je sais que c’est qu’il fallait dire, ce qu’il faut faire. Rentrer et essayer de me ressourcer. Il faut impérativement que je sois en mesure de reprendre le contrôle de ma vie en laissant les relations humaines de côté. Il est maintenant évident que je ne suis pas faite pour cela. Evidemment, il n’aura pas été faute d’essayer à mainte et mainte reprise. Malheureusement, tout n’a toujours été qu’un vaste échec au final. Je ne peux plus faire endurer cela à quiconque.

New York Courthouse, 30 mars 2020
@Solveig T. Lazzari & @William O'Connor

En prononçant ces paroles, il savait qu’il ne pourrait plus faire machine arrière. Il avait presque oublié la douleur physique. Ses yeux clairs restaient fixés sur ceux de la jeune femme. Comme s’il avait peur de ne plus les revoir ou qu’il s’y résignait. Juste une dernière fois. Pour les graver dans sa mémoire. Et se perdre dans le souvenir. Il l’avait peut-être toujours su, cette histoire s’était achevée avant d’avoir réellement commencée. Comme deux aimants identiques qui se repoussent, ils n’étaient probablement pas capable de dépasser ce stade de leur relation. Certaines personnes étaient faites pour se rapprocher et d’autres pas.

Alors pourquoi le lui dire ? Parce qu’il avait besoin qu’elle le sache. Parce que s’il y avait eu une minuscule chance… elle valait peut-être la peine d’être tentée. Parce qu’il avait été heureux un jour, et qu’une infime partie de lui n’était pas prête à se soumettre à l’abnégation. Il avait renoncé il y a longtemps, par altruisme. Mais il restait toujours en lui un fragment d’âme irrationnel. Une faille dans le système. Un bris de glace qui commençait à fendre son existence. Et s’il était assez intelligent, il ferait le nécessaire pour sauver sa peau. Ou au moins son coeur.

Il avait fait ce qu’il devait. Il lui avait dit la vérité. Mais il n’était pas capable de s’exposer plus. Il n’en avait tout simplement pas envie. Il n’y voyait pas d’intérêt parce qu’il n’y voyait pas d’avenir. Il s’était défendu de se projeter. Parce qu’il n’y avait rien de pire que les faux espoirs. Il se devait également d’être honnête envers lui-même. Son visage restait impassible. Ses lèvres scellées. Il n’y avait rien d’autre à ajouter. Solveig était un électron libre, elle percutait hasardeusement la vie, les gens. Le meilleur moyen de leur éviter la collision était de s’écarter de son chemin.

Il se contenta d’acquiescer quand elle convient de rentrer chez elle. C’était la décision la plus sage effectivement. Mettre fin à cette épisode avant que quelqu’un ne soit encore blessé, un peu plus. Il avait fait un pas en arrière. L’un d’eux devait prendre la décision de partir. Ne pas laisser flotter ce silence. Celui-là même qui avait terminé chacune de leurs conversations. Celui qui les reliait inexplicablement. Il lui adressa un dernier signe de tête avant de faire demi-tour. Il gravit quelques marches de l’escalier. Sa respiration était pesante. Il s’arrêta pour prendre une grande inspiration, exulter un long soupir et gratter fébrilement sa barbe. Il ne pouvait pas s’en empêcher. Il se retourna. Juste une dernière fois...

New York Courthouse, 30 mars 2020
@Aleksej Jaime Svendsen & @William O'Connor

C’est sans demander mon reste que je le laisse reculer, partir, m’échapper. Bien-sûr qu’il aurait été plus simple, plus agréable d’aller chercher le réconfort dans les bras chauds d’un homme mais est-ce juste ? Est-ce respectueux à l’égard de l’autre homme que je fais souffrir ? Non. J’ai fait suffisamment de mal à William pour réaliser que je ne peux pas tout simplement suivre la même route qu’Aleksej. Il est brisé, il me l’a plus ou moins fait comprendre. Pas par des mots mais par des regards qui ne trompent pas. Tout se joue dans le regard entre nous. Trop intimistes, trop secrets, nous n’arrivons pas à mettre des mots sur ce qui nous lie mais nos yeux le font pour nous. Volontairement ou non.

Aleksej part, lentement mais sûrement. Il a pris la décision pour deux et je sais au fond de moi qu’il a eu raison. Ce n’est pas possible autrement. Impossible d’envisager quoique ce soit. Bien-sûr, j’aurai aussi pu jouer l’insensible, le faire succomber et coucher avec lui. Je ne suis pas cette personne. Je ne dis pas que l’envie n’y est pas mais je n’en ferai rien. J’ai, encore une fois, fait assez de dégâts comme cela.

Je le regarde s’éloigner et, tout à coup, il s’arrête. Va-t-il se retourner ? Va-t-il chercher à vérifier qu’il y a encore de l’espoir ? Oui, de l’espoir. A défaut de rendre quelqu’un heureux, je peux peut-être faire véhiculer de l’espoir. Le temps semble ralentir. Il ne bouge pas de suite. J’imagine qu’il hésite. Et puis, finalement, il le fait. Il se retourne et nos regards se croisent, encore une fois.

Malgré la douleur lancinante dans ma poitrine, je parviens à lui décocher un petit sourire tendre. C’est la seule chose que je sois en mesure de faire. Puis, je fais ce qu’il faut. Je fais un pas en arrière, prends appui sur celui-ci et me retourne.

Je ne retournerai pas au bureau aujourd’hui.

⏤ Fin ⏤