Moscou. Une date indéterminée, un soleil de plomb et des cris résonnant dans la cuisine d’une maison banale, modeste. Le sang est étalé, parsemant la table. C’est dans des conditions spartiates et une douleur intense que toi, Nikola Batsinko naquit. Ta mère n’avait pas les moyens de se rendre à l’hôpital, alors elle s’était contentée d’accoucher ici, chez elle. C’était un véritable exploit que de donner la vie ainsi. Ce n’était pas non plus un accouchement habitué au 20ème siècle. La médecine avait suffisamment évolué pour permettre d’accoucher sans douleur. Pourtant voilà, ce genre de scène existait encore chez vous, cette famille de paysans dont les nombreux enfants avaient été placés en foyer. Trop d’enfants et pas suffisamment de revenus pour assumer de telles responsabilités. Alors, ton destin ne changea pas de tes autres confrères, ta génitrice ne put assumer ton existence. Un soir d’été, son visage caché par une épaisse capuche, la femme te déposa devant la porte de l’orphelinat le plus proche, enroulé dans une couverture en laine, tu es d’un calme olympien, comme si tu sentais que cela arriverait. Comme si tu y étais préparé. Un dernier regard et elle s’éclipsa, à tout jamais. Durant la nuit, l’un des directeurs te récupéra enfin, et démarra ton aventure dans cet environnement inhospitalier.

Les mois passèrent et tu grandissais à vue d’œil, te forgeant un caractère digne d’un véritable russe. Et pour cause, les gamins n’étaient pas tendres, et en venaient souvent aux mains. Toi, tu étais le premier à entrer dans leur jeu, comme s’il s’agissait de la seule manière de communiquer ton manque criant d’affection. Tu ressentais un manque féroce, celui de tes parents. Et cette douleur était partagée avec les autres pensionnaires. Avec ta bande de potes, tu faisais la terreur, celui qui frappait à tout bout de champ. Tu n’avais peur de rien, pas même du gaillard plus grand que toi. D’ailleurs, tu lui donnas un coup d’épaule volontaire pour attirer son attention. Il se retournait, ses yeux rageurs se posant sur ton être, tu compris que la partie était loin d’être gagnée. « Qu’est-ce que tu veux la crevette ? ». Une fébrilité t’étreignit alors que tu osais le regarder dans les yeux, un affront de plus qui déclencha sa colère. Son poing rencontra ta joue, te faisant perdre l’équilibre. Du sang s’échappa de tes lèvres tandis que tu te redressais pour contre-attaquer et lui asséner un coup de poing, et s’en suivit une bagarre d’une rare violence, au beau milieu des élèves. Ces derniers se mettaient en rond, criant ton nom et celui de ton assaillant, que tu voulais détrôner, tu voulais prendre sa place en tant que terreur. Un mauvais coup sonna le glas de ton courroux, tandis que tu tombais, inconscient, au sol. Nul besoin de dire que tu étais déçu en ouvrant les yeux dans une chambre d’hôpital quelques heures plus tard. La blancheur de la pièce te fit grimacer, t’aveuglant, tandis que tu pouvais sentir l’amertume dans ta bouche : le goût du sang. Le goût de la défaite que tu t’étais promis à ne plus ressentir.


Les années passèrent. Ta vie était toujours aussi chaotique et empreinte d’une violence inouïe. Mais, un nouveau désir naissait en ton cœur, celui de retrouver ta mère, comprendre tes origines. Déplacé dans un foyer spécialisé pour enfants difficiles, cela n’arrangea pas ton caractère. Cette fois-ci, tu plongeais dans des affaires illégales et bien plus dangereuses. Le vol, le recel, les mensonges et la manipulation étaient quotidiens pour survivre, et avec un culot impressionnant. Tu n’hésitais pas à te mettre dans des situations impossibles, quitte à te mettre en danger. Parfois sans le vouloir, tu t’embarquais dans des histoires, en fait, tu avais tendance à être là au mauvais moment, au mauvais endroit. « Nikola, faut qu’on aille chercher les trucs tu sais ? ». Tu hochais la tête nonchalamment, d’un air détaché. Vous entriez ensuite dans la voiture, et démarrant en trombe, direction votre fournisseur de craque que vous revendez aux petits accrocs. Un marché noir fleurissant, mais plus que jamais surveillé par les autorités. Arrivés sur les lieux du rendez-vous, un endroit discret et en périphérie de la capitale russe. Tu t'engouffras dans un hangar sombre, abandonné depuis des années. Deux hommes se tenaient devant vous, avec des gorilles de chaque côté, ces derniers te firent grimacer, ils n'avaient pas l'air d'être aimables. Tu n’avais pas être jaloux, car ton visage marqué par le temps et la haine n’était guère plus agréable. Des regards s’échangèrent, hésitants quant à l’issue de de ce rendez-vous aux raisons fortuites. « Est-ce que vous avez l’argent les gamins ? Vous savez que notre patron n’apprécie pas les retards. ». Tu gardais ton sérieux, ne perdant pas pied face à ce discours menaçant. « On l’aura bien vite, nous voulons de quoi tenir. ». Le rire de l’homme te glaça le sang, plusieurs minutes s’écoulèrent durant lesquelles il continuait à vous montrer son mépris. « T’as du culot, mais ça ne suffira pas. Alors, je repose la question, petit con, avez-vous l’argent ? ». Son ton était bien moins sympathique que précédemment, tandis qu’il s’approchait pour vous oppresser. « Vous savez que l’on déteste les menteurs. Tu nous avais dit que tu l’aurais Nikola. ». Tu reculais et, manquant de tomber t’arrêtais pour te rendre compte avec effroi que l’un des gorilles pointait un flingue sur toi. « H-hey attendez… ». Ta voix se brisa face au bruit de l’arme. Une douleur intense te parcourut le torse, puis, plus rien, les ténèbres voilèrent ton regard.

Trois semaines s’écoulèrent depuis cet incident. Il était impossible de rester à Moscou, avec la moitié de la mafia à tes trousses. Par dépit, tu quittas sans prévenir personne le foyer dans lequel tu vivais depuis de nombreuses années. Là où tu avais pu rencontrer des amis, mais le choix ne t’appartenait pas. Encore blessé, tu te glissais hors de tes draps, attrapant ton sac à dos situé sous ton lit que tu avais préparé des heures avant. Une fois habillé, tu quittais ta chambre en passant par la fenêtre, tombant dans un épais feuillage, ce dernier te coupant partout. Bougonnant en russe, tu soulevais finalement tes fesses pour déguerpir et emprunter le long couloir. La pénombre ne t’effrayait pas, et tu avançais à pas feutrés. Tes pas te menèrent devant une porte close, le bureau administratif. Usant d’une épingle à nourrice pour l’ouvrir, tu entrais dans la pièce. Le bureau de bois était entouré de bibliothèques remplies de dossiers, de papiers innombrables. La recherche de ton dossier risquait de mettre du temps, surtout qu’il te fallait rester discret, ne pas faire de mouvements brusques. Après une vingtaine de minutes, tu trouvas le dossier à ton nom, feuilletant ce dernier, tu venais à t’asseoir sur la chaise, sous le choc de ce que tu étais en train de lire. Ivanovitch. Tes prunelles s’écarquillèrent alors que tu découvrais plus d’informations sur ton géniteur. Mais également, tu apprenais l’existence de ta demi-soeur, à New-York. Désireux de les retrouver, te voilà en direction des Etats-Unis, alors âgé seulement de 18 ans. Ce n’est certainement pas une vie facile qui t’y attend, mêlée d’obstacles en tout genre.

Et des obstacles, tu en as rencontré de nombreux. La nationalité américaine enfin en poche, tu pus faire des petits boulots afin de payer tes études à la prestigieuse université de Columbia. Tu suivais une formation dans l'école de commerce sur la finance et l'audit, il était important de savoir compter lorsqu'on désirait devenir un mafieux. Ton chemin croisa enfin celui de ton vrai père, le patriarche Ivanovitch, alors sur un lit d'hôpital. « Approche que je te vois de plus près...»  Le russe prédominait dans la conversation, sonnant comme un retour aux sources. Quelque peu intimidé par ce grand monsieur, tu t'exécutais, quittant la pénombre pour te dévoiler sous les projecteurs de sa chambre, te plaçant aux côtés de ta demi-sœur dont tu ne connaissais rien. Tu l'ignorais encore, mais cette rencontre serait la première et la dernière car il succomba dans la nuit, paisiblement. Il te légua l'empire construit dans les ténèbres dont tu hériteras quand tu en seras digne. Un nouveau monde s'ouvrait à toi, un monde auquel tu as avais toujours aspiré.


Connaissant ta première défaite amoureuse, tu continues cependant d’œuvrer pour la mafia russe dont tu n'es qu'un membre. Ton jeune âge est un frein à la prise de responsabilités, faire tes preuves est essentiel car les plus anciens ne laisseraient pas leurs places aisément. Il n'y a plus de place à l'amour dans ton existence, plus de place pour ce genre de futilité.